L'époux d'une jeune beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés, sa femme
Lui criait: «Attends-moi, je te suis; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler.»
Le mari fait seul le voyage.
La belle avait un père, homme prudent et sage;
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler:
«Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes:
Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes?
Puisqu'il est1 des vivants ne songez plus aux morts.
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Je ne dis pas que tout à l'heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports2;
Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. — Ah! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l'époux qu'il me faut.»
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe;
L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure:
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours;
Toute la bande des amours
Revient au colombier; les jeux, les ris3 la danse,
Ont aussi leur tour à la fin;
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de jouvence4.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle:
«Où donc est le jeune mari
Que vous m'avez promis?» dit-elle*.
Fables. VI-21 (1668).
Примечания:
1. Находясь среди живых. 2. Я вовсе не советую вам сменить немедленно проявле-
ние горя на радости нового брака. 3. Смех, веселье. 4 С утра до вечера она окуналась
в источник юности (т.е. пребывала в обществе молодых людей и дам)..
Вопросы:
* «Ce n'est ni un conte., ni une idylle, ni un poème: ce n'est rien et c'est presque tout lia
Fontaine... Ah! ce «dit-elle», quel souvire dissimulé sous le battement de l'éventail!
Délicatesse mondaine, comique parfait, un fond de philosophie rabelaisienne, un tour
d'esprit marotique, quelques paillettes de Voiture, mais des paillettes d'or, le plus tendre
coloris, le mouvement le plus vif, une grâce enfin où l'on sent toute la force (le la vie: le
génie de La Fontaine se reflète dans cette perle.» (A.BELLESSORT.) Êtes-vous de cet avis?
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BOILEAU (1636-1711)
bien sûr, BOILEAU n'est pas de ces poètes qui peuvent enthousiasmer la
jeunesse: il légifère, avec trop de rudesse, fronce volontiers le sourcil, donne
de la férule aux maladroits; en un mot il est le Pédant...
Mais s'il n'a rien inventé, s'il s'est contenté de donner forme aux principes que
depuis cinquante ans les écrivains français appliquaient plus ou moins,
consciemment, si même son talent personnel pâtit beaucoup d'être compare
à celui de ses grands contemporains, il a su formuler avec vigueur ce besoin
qu'éprouvé notre poésie d'obéir à des règles sévères, de soumettre le feu de
l'inspiration au double contrôle de la raison et d'une technique sans défauts,
Voilà pourquoi L'Art poétique (1674) demeure comme une date capitale dans
l'histoire de notre littérature.
L'ART D'ÉCRIRE
Il est certains esprits dont les sombres pensées,
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce'- clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Surtout, qu'en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux2:
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme3,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme4.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse5
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène6,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
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Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage:
Polissez-le sans cesse et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez*.
Art poétique, I, vers 147-174 (1674)
Примечания:
1. Выражается. 2. Неправильный. 3. Слово, позаимствованное из другого языка.
4. Неправильный языковый оборот, не нарушающий смысла высказывания. 5 Какие
бы ни были у вас причины спешить. 6. Напеске.
Вопросы:
* Recherchez les vers (ou groupes de vers) qui ont pris, pour ainsi direfforce de loi.
Essayez d'expliquer pourquoi ils ont eu cette fortune.
ANDRÉ CHÉNIER (1762-1794)
dans un siècle -plus soucieux de philosopher que de rêver et où les poètes,
adonnés à l'imitation stérile du XVIIesiècle, ne valent pas les prosateurs, c'est
lui qui soutient le flambeau des Muses. Encore paya-t-il de sa tête, sur
l'échafaud, son sens aristocratique de la Beauté. Son plus grand mérite est sans
doute d'avoir su échapper au maniérisme de ses modèles grecs ou latins et
sauvegarder cette fluidité, cette transparence dans l'expression qui demeurent
quelques-uns des traits les plus 'constants de la poésie française.
LA JEUNE TARENTINE
Pleurez, doux alcyons1! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez!
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tareiitine2!
Un vaisseau la portait aux bords clé Camarine :
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Dans le cèdre4 enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or, dont au festin ses bras seraient5 parés,
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Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Étonnée et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
' Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides
L'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zéphyr7, déposé mollement;
Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent: «Hélas!» autour de son cercueil.
Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée.
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds.
Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux*.
Idylles 41786).
Примечания:
1 Поэтическое название зимородка. По преданию, дочь Эола бросилась в море и
была превращена богами в зимородка — птицу, посвященную нереиде Фетиде, став-
шей матерью Ахилла. 2. Таранто — порт в южной Италии. 3. На Сицилии. 4 Сун-
дучок из кедрового дерева. 5. Futur du passé, amené par les temps de portait, devaient
(= allaient être parés). 6. Оцепеневшая. 7. ВюжнойИталии.
Вопросы:
* On étudiera la couleur antique dans ce poème, les rythmes, et la valeur de certaines
reprises, qui agissent parfois à la façon de refrains.
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ALPHONSE DE LAMARTINE (1790-1869)
Il fut le Prince de la Jeunesse en 1820, au lendemain des Méditations. Aujour-
d'hui, l'ampleur et la chaleur de sa voix lui font tort: pour les lecteurs
essoufflés que nous sommes devenus, elles ont trop longue baleine... Et
pourtant, II a revivifié le lyrisme français, exténué depuis plus d'un siècle. Il
est d'instinct retourné à la source originelle de toute vraie poésie: le cœur.
Aussi (comme Le Cid et Andromaque, La Nouvelle Hêloïse et René) les
Premières Méditations sont-elles un commencement dans l'histoire des lettres
françaises.
Des pièces de ce recueil, où l'on dirait que l'âme de Chateaubriand s'est
exprimée avec la musique de Racine, Le Lac reste ajuste titre la plus fameuse.
LE LAC
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'Océan des âges
Jeter l'ancré un seul jour?
Оlac1! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoira Regarde!
Je viens seul m'asseoir sur cette pierre2
Où tu la vis s'asseoir!
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé4 frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots:
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«Оtemps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours!
«Assez de malheureux ici-bas vous implorent:
Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
Oubliez les heureux.
«Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit;
Je dis à cette nuit: «Sois plus lente»; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
« Aimons donc, aimons donc, de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule et nous passons! »
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse,
Que les jours de malheur?
Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais? Quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?
Оlac! rochers muets! grottes! forêt obscure!
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature.
Au moins le souvenir!
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!
Qu'il soit dans le zéphir qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés!
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
Tout dise: «Ils ont aimé!»*
Méditations poétiques. (Écrit en septembre 1817)
Примечания:
1 Озеро Бурже в Савойе, на берегах которого Ламартин в октябре 1816 встретил
г-жу Шарль, вдохновившую его на написание )того стихотворения 2 Ламартин и
г-жа Шарль договорились встретиться вновь у озера в будущем году, но г-жа Шарль
тяжело заболела и не смогла приехать в Савойю. 3 Имеется в виду скала на западном
берегу озера Бурже неподалеку от аббатства Откомб, где Ламартин сделал первые
наброски этого стихотворения 4 В этимологическом смысле' неземные звуки, ча-
рующие берега...
Вопросы:
* Etudiez: 1° lesdifférente rythmes de ce poème et leur rapport avec les sentiments,
2° la musicalité de certains vers (notamment dans les trois dernières strophes)
ALFRED DE VIQNY (1797-1863)
ne nous méprenons point sur son orgueil: c'est celui d'un homme blessé par la
vie et qui cherche au fond de soi, et de soi seul, le moyen de panser son
inguérissable blessure. Pour lui, la Poésie ne saurait donc être considérée
comme un simple artifice d'expression: elle est la Réalité même, et presque la
seule certitude en ce monde. Par là, elle libère l'Homme, écrasé ou trahi de
toutes parts, et affirme la victoire de l'Esprit, sur les forces aveugles de la
Nature...
LA MAISON DU BERGER (fragment)
Eva ', j'aimerai tout dans les choses créées,
Je les contemplerai dans ton regard rêveur
Qui répandra partout ses flammes colorées,
Son repos gracieux, sa magique saveur;
Sur mon cœur déchiré viens poser ta main pure,
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Ne me laisse jamais seul avec la Nature,
Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.
Elle me dit: «Je suis l'impassible théâtre