Cette communion, c'en était une, avait lieu le vendredi, Ce jour-là,
s'alignait devant le Collège de France une file de voitures élégantes,
comme aux jours de première devant le Théâtre-Français ou l'Opéra-
Comique. On ne sait trop pourquoi, aux environs de 1905, la philosophie
des Données immédiates de la Conscience1était devenue à la mode dans
les salons parisiens. Avec étonnement, M. Leroy-Beaulieu, célèbre
économiste, qui faisait ses leçons dans la même salle que M. Bergson et
immédiatement avant lui, voyait son amphithéâtre, ordinai-rement presque
vide, se peupler par miracle d'une foule inattendue. C'étaient les étudiants
de Sorbonne ou les clercs de Saint-Sulpice2, qui se condamnaient à regar-
der pendant une heure sa bonne figure de chien d'aveugle qui tient une
sébile, pour être sûrs d'avoir une place au cours du philosophe, et aussi de
Pauvres .hères et des valets de pied qui retenaient des places pour les
femmes du monde éprises de métaphysique.
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J'y venais, moi aussi, quelquefois pour voir M. Bergson jongler avec des
œufs, sans jamais en casser un seul devant cet étonnant public. Cette image
d'ailleurs n'est juste qu'à demi, car M. Bergson pariait les mains jointes, les
index allongés et appuyés par le bout l'un sur l'autre, et sans faire d'autre
geste que de fendre l'air doucement avec la pointe de ses doigts; mais elle
exprime tant bien que mal ce que je trouvais de précision aérienne dans le
jeu de son esprit. , N'ayant nullement, comme Péguy3, l'appétit
métaphysique, j'admirais surtout chez ce maître le discours si subtil, où des
images rares et charmantes étaient tissées dans la trame de l'analyse
philosophique, étaient cette analyse elle-même. Pendant une heure, il
m'entraînait dans l'ivresse la plus agréable. Des choses compliquées et
lointaines paraissaient toutes faciles et proches. Au sortir de la leçon,
j'ignore si les belles personnes qui regagnaient leur voiture étaient plus
heureuses que moi, mais dès que l'enchantement de la parole avait cessé,
j'éprouvais toutes les peines du monde à ramasser la substance de ce que
j'avais entendu, tellement cette pensée fluide me semblait liée intimement
à l'expression et aux mots. Chaque fois que je m'y essayais, j'avais
l'impression d'abîmer une œuvre d'art parfaite et de me réciter des vers
faux*.
J. et J. THARAUD. Notre cher Péguy (1926),
Примечания:
1. "Непосредственные данные сознания" (1896), одно из наиболее известных про-
изведений А.Бергсона. 2. Духовная семинария, находившаяся тогда на площади Сен-
Сюльпис недалеко от Латинского квартала. 3. Друг и соученик автора по Эколь Нор-
маль (Высшей педагогической школе).
Вопросы:
* En quoi consiste l'ironie légèrement irrévérencieuse de ce passage?
VIII. Религия
Хотя уже более полувека назад католицизм изрядно утратил влия-
ние на Францию и, пожалуй, его позиции у нас не так сильны, как в
Испании или Италии, душа француза тем не менее остается душой
христианской. Большинство нации связано с церковью, и не так уж
много семей, где ребенок не был бы окрещен и не получил бы первое
причастие, где гражданский брак не подтверждался бы венчанием и
где умирающий не получал бы соборования. Французское духовенст-
во, отличающееся достоинством и служащее примером своим прихо-
жанам, многочисленно и влиятельно; при папском престоле оно пред-
ставлено шестью кардиналами; ему присуще обостренное чувство со-
циальной справедливости; оно посылает миссионеров в самые даль-
ние уголки земли; почти в каждой деревне у нас существует храм, и
церковь, несмотря на конкуренцию светского образования, имеет не-
мало школ, коллежей и институтов, дающих основательное религиоз-
ное образование.
Дело в том, что наша страна очень рано приняла христианство.
Оно стремительно распространялось, и когда в конце Vвека Хлодвиг
принял крещение, королевская власть получила бесценную опору.
Опору, которая неизменно усиливалась и была окончательно упроче-
на в царствование Карла Великого. С тех пор Францию можно счи-
тать страной по сути своей католической, и степень ее участия в кре-
стовых походах показала, сколь значительное место она занимает в
христианском мире. Посему, несмотря на серьезные раздоры, что по-
рой разделяли ее духовенство, она, как и раньше, почитается старшей
дочерью Святой Церкви.
Французский католицизм блистательно проявил себя во всех сфе-
рах религиозной жизни. Франция дала миру святых мучеников —
св. Иринея и св. Бландину; основателей монашеских орденов —
св- Бернарда и св. Венсана де Поля; реформаторов — мать Анжелику
и аббата де Ранее; святых — Женевьеву Парижскую, Жанну д'Арк,
Бернардетту Лурдскую, Терезу де Лизьё; проповедников — Боссюэ
и Бурдалу; теологов — св. Ансельма; пламенных миссионеров —
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кардинала Лавижери и отца де Фуко. Католицизм вдохновлял людей
на строительство соборов и церквей. Вдохновлял великих музыкантов
и живописцев. Вдохновлял гениальных писателей от Паскаля до Кло-
деля. Дал миру папу — Герберта Великого, принявшего после избра-
ния на святейший престол имя Сильвестра II, и короля-святого —
Людовика IX.
После IIВатиканского Собора католицизм получил во Франции
новый импульс. В стране проводится множество исследований, изда-
ется множество книг, цель которых — уточнить взаимоотношения
современного человека и религии. Проводятся коллоквиумы и конфе-
ренции экуменистической направленности для установления более
тесных связей, в частности, с протестантами. Предметом серьезных
дискуссий становится положение священника в нынешнем обществе.
Развитие католицизма не прекращается и, наверное, никогда не
прекратится. Франция играла и впредь будет играть важную роль в
обновлении христианства.
SAINT BERNARD
(1091-1153)
On connaît l'admiratle Panégyrique de Bossuet: «Figurez-vous maintenant le
jeune Bernard nourri en homme de condition, qui avait la civilité comme
naturelle, l'esprit -poli far les bonnes lettres, la rencontre belle et aimable,
l'humeur accommodante, les mœurs douces et agréables: ah! que de -puissants
liens pour rester attaché à la terre!» — Oui, et pourtant ces liens furent inca-
pables de contrecarrer la vocation impérieuse du futur fondateur de l'abbaye
de Clairvaux, qui devait aussi (et avec quelle éloquence!) prêcher la seconde
croisade...
Un jour, il vit une femme. Lorsqu'il s'aperçut qu'il la trouvait belle et
désirable, dans une étrange alarme il s'enfuit. Il alla jusqu'à un étang, il y
entra, sans balancer, et il demeurait1 là, dans l'eau glacée. On l'en tira
à demi mort. Pour une fois2, c'était la grande révolte: celle de la liberté
sainte qui n'admet de tomber dans aucun esclavage.
Bernard, cependant, avait une passion, et excessive: celle de la
connaissance. Des amis, ses frères, l'engagèrent à s'adonner aux arts
curieux. Il en fut extrêmement tenté. Mais apprendre pour le plaisir de
savoir, se dit-il, quelle curiosité; apprendre pour être regardé comme
SAvant, quelle vanité; apprendre pour trafiquer de la science, quel
trafic*!
Puis ce fut l'orgueil de la vie qui le tenta. Faire carrière dans l'Eglise,
dans les armes, à la cour? Il était beau. Mince, élégant, de taille haute. Les
yeux bleus plein de feu, un air de noblesse, d'audace, mais de douceur
aussi. On a dit qu'il était encore plus dangereux pour le monde que le
monde pour lui ne l'était.
Il en est là, rentré depuis six mois à Fontaine3 lorsqu'il perd sa mère.
Cette mort le laisse à découvert. Il voit d'un coup la dérision de ce .monde.
Et sa mère morte va l'orienter vers la seule porte qui s'ouvre pour quelqu'un
bâti comme lui: la plus étroite des portes, mais qui, franchie, à sa passion
des grandes choses donne tout l'espace.
Ses frères sont avec le duc4 au siège de Grancey. Il va les voir. En
chemin il entre dans une église: tout en pleurs, il prie Dieu de lui faire
connaître sa volonté et de lui donner le courage de la suivre. La prière
finie, il se sent une forte résolution d'entrer à Cîteaux5.
Un temps était venu où Cluny6 avait paru à quelques-uns de ses fils
163
avoir perdu le sens de la pauvreté monacale. En 1098, ceux-là s'étaient
installés dans les marais de la Saône, au milieu des forêts. Et ils avaient
restauré la règle en sa pureté première.
Lorsque Bernard dit à son père, à ses frères, qu'il veut se faire moine la,
vivre de pain d'orge, et de la houe piocher comme le dernier des serfs, ils
haussent les épaules. Mais lui, déjà prophète, il sait qu'il les aura7. Même
celui qui a deux filles, sa femme lui ayant rendu sa liberté pour se faire elle
aussi moniale. Même celui qui aime tant les armes. (Comme Bernard le lui
a prédit, il est blessé au côté et fait prisonnier; son cœur change; du coup il
est guéri, et délivré par miracle.) Enfin tous ils suivent Bernard; et des amis
avec eux; ils sont près de trente. «Adieu, mon petit frère Nivard, dit l'aîné
au plus jeune: vous aurez seul tout notre bien. — Eh oui, leur réplique-t-il,
vous me laissez la terre et vous prenez le Ciel: je ne veux pas de ce
partage.» Plus tard, il ira les rejoindre. Leur père a dû tout accepter.
«Du moins modérez-vous! Je vous connais! on aura du mal à vous
contenir.»
De fait, ils seront terribles. Ils refusent de parler à leur sœur Humbeline,
parée en demoiselle. L'un d'eux, qui veut être poli, la traite seulement de
stercus invo-lutum. (...) Elle fond en larmes; elle leur fait dire qu'elle vient
à eux comme à des médecins qui ne doivent pas refuser de la guérir. Ii-
sortent alors et lui parlent; et elle, elle réglera sa vie sur celle de leur mèn
finalement elle se fera religieuse**.
HENRI FOURRAT. Saints de France (1951)
Примечания:
1. Imparfait de durée. 2. Pour cette fois. Cette fois, enfin. 3. Бернард родился в замк
расположенном неподалеку от Дижона. 4. С герцогом Бургундским. 5. Монастыр
который прославил Бернард, прежде, чем о'сновал Клерво. 6. Знаменитое аббата и
основанное в Xвеке в Бургундии, боровшееся за строгое соблюдение устава бенеди
тинского ордена. 7. Он их переубедит, переборет (разг.). 8. Букв, кал, облаченш
(в одежды) (лат.).
Вопросы: :
* Appréciez le rythme et la construction de cette phrase.
** Cette page est vigoureuse et sobre — non dépourvue parfois d'une certaine brutali'1-"
Montrez-le.
164
SAINT VINCENT DE PAUL (1576-1660)
VINCENT DE PAUL est une des plus émouvantes figures du clergé français. Car il
fut l'incarnation même de l'esprit de charité. Chanté poussée à l'extrême, ournée
vers les créatures les plus déshéritées: forçats et enfants trouvés, par exemple.
Charité constructive aussi, puisque le saint homme sut fonder des congrégations
comme celle des Petites Sœurs des Pauvres ou celle des Prêtres de la Mission.
C'est à l'aumônier des galériens surtout (qu'HENRI LAVEDAN a voulu rendre
hommage: s'il ne le fait pas sans grandiloquence, du moins souligne-t-il
l'action extraordinai-rement bienfaisante de Monsieur Vincent en faveur des
plus abandonnés de ses frères...
Dès son arrivée dans un port, il se fait conduire au quai où mouillent1
les galères, il y monte, et le voilà qui, descendant du coursier', se faufile,
de rang en rang, parmi les forçats, sans crainte ni honte de les coudoyer. Il
les contemple chacun, de tout près, les yeux dans les yeux, car il demande,
lui, il prie qu'on le regarde, afin qu'il puisse ainsi pénétrer mieux jusqu'au
fond des âmes, jusqu'à cette «cale où il sait que sont les vivres». Ces
hommes n'y comprennent rien. Ils attendent. Que nous veut-il?» Vincent
les interroge. Il fait plus: il les écoute! Et quelle patience! Leurs plaintes? Il
les accepte. Leurs rebuffades? Jl les subit. Puis il se penche... et il s'émeut.
Il a vu «les chaînes». «Ah! mes pauvres enfants! C'est donc cela vos fers?
— Oui! Tenez! Pesez!» Et on les lui montre, on les lui tend avec la
complaisance et l'orgueil de l'esclave. Leur pensée,se devine: «Hein! Qui
donc, en dehors de nous, porterait pareil poids? Personne au monde!
Personne! Quelle force il faut! C'est que nous sommes les forçats, nous! les
galériens!» Vincent approuve, admire, il soulève les fers et il les baise!
A ce coup, les hommes sont tout saisis et se font des signes...: «Baiser des
fers! et les fers d'un forçat! pendant qu'il est dedans! Non! cela ne s'est
jamais vu! // se moque! ou bien ilest fou!» Pourtant ce baiser de prêtre à.
leurs chaînes, il leur semble que c'est à eux qu'il a été donné. Et puis,
comme si Vincent avait conscience que cela ne suffit pas, il les caresse et
les embrasse aussi, les enchaînés, avec des mots d'une douceur qui les fait
défaillir... Quelques-uns, parmi les plus scélérats, qui n'ont jamais pleuré,
sentent couler, pour la première fois, se demandant si ce n'est pas du sang,
des larmes chaudes sur leurs joues et ils voient «Monsieur l'aumônier des
galères» qui pleure aussi avec eux. Sont-ils en train de manger, il goûte
à leur pitance et boit dans leur écuelle l'eau saumâtre, qu'il trouve bonne.
Arrive-t-il en pleine bastonnade, il crie: «Arrêtez!..» Il demande grâce et
l'obtient. D'ailleurs jamais, une fois qu'il est là, on n'oserait, devant lui,