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Les moyens linguo-stylistiques de letude du texte (стр. 5 из 7)

Cette position permet de procéder à des inventaires précis. Il est, en effet, facile de classer les infractions au code de la langue soutenue que l'on rencontre dans cette expression courante dans la bouche de Bérurier : « Le mec dont au sujet duquel je vous cause...» Mais cette position ne permet guère d'obtenir un bon résultat avec le vers célèbre de Victor Hugo: «Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril». On pourra répondre que le vers de Hugo représente ici, non pas une infraction au code de la langue, mais une différence par rapport au niveau non marqué de la parole — quelque chose comme un « degré zéro de l'écriture » (R.Barthes), sorte d'état neutre, d'usage moyen dont on admet l'existence — et que cette différence est un écart qui permet de définir le style. Le célèbre Aujour­d'hui, maman est morte de Camus représenterait assez bien ce niveau non marqué ; mais cette « non-marque » envahirait-elle L'Etranger du début à la fin, elle défini­rait finalement un style : le choix d'une écriture non marquée (encore faudrait-il pouvoir dire où commence et où finit une telle écriture) est, en fin de compte, une marque voyante. En revanche, s'il est vrai que le style est écart par rapport à l'usage non marqué, il faudrait admettre que le Voltaire qui suit, dans sa correspondance, l'usage soutenu du français de sa classe et de son temps, n'a pas de style.

On s'aperçoit vite, à la suite de Mounin, que la notion d'écart bute sur une difficulté importante : tout choix n'est pas style, et certains écarts ne sont, après tout, que « des gadgets stylistiques sans aucune fonction poétique ». L'écart est, certes, une caractéristique du style, mais, à lui seul, il ne saurait faire tout le style ; il peut même n'avoir qu'une place restreinte (exemple de la correspon­dance de Voltaire). A cela, on ajoutera que la marque elle-même est relative : un cliché qui repré­sente une « non-marque » dans l'usage courant peut devenir une marque dans un texte littéraire par exemple ; inversement, un mot banal dans un poème de Michaux qui privilégie les néologismes, inconnus du langage usuel, prend le relief particulier d'une marque distincte.

Les stylistiques de l'écart ont donné des résultats intéressants, souvent admirables. G.Marouzeau, R.Jakobson, avec des démarches différentes, ont fondé leurs travaux sur cette notion. Peut-être, pour éviter les écueils que nous venons d'énumérer brièvement, pourrait-on remplacer la notion d'écart par celle de variables. Plutôt que d'essayer de définir l'écart par rapport à un code, vaudrait-il mieux essayer de cerner des variables par rapport à d'autres variables, cela par la délimitation d'un corpus. Pour éviter aussi cet écueil que constitue l'écart, M.Riffaterre remplace la norme par le contexte et fait appel à la notion de probabilité. L'écrivain, en effet, utilise un surcodage constitué de procédés dont le rôle est de souligner (« le langage exprime » — « le style souligne »). Par ce surcodage, il rend imprévisibles les éléments qu'il désire imposer au décodage. Plus cette imprévisi­bilité est grande, plus la probabilité donc est faible, plus il y a style.

Mais on remarque que, ici encore, on en est réduit à mesurer un écart (entre ce que l'on attend d'après le contexte, et ce que le texte nous donne). Cet écart est bien mince dans la correspondance de Voltaire où le degré de probabilité est grand. Peut-on dire que le style de Voltaire existe à peine ?

Ce que nous venons de voir nous montre que le style est un phénomène complexe, difficile à enfermer dans une formule générale, ou dans une mesure simple et universelle. On aura besoin de bien des outils pour arriver à le cerner d'une manière satisfaisante. C'est que l'oeuvre littéraire est un témoignage humain, personnel, et que, comme tel, elle met en mouvement un réseau compliqué et déli­cat d'éléments divers. On approchera peut-être un peu plus de la réalité du style avec la notion de connotation.

Si tout signifiant a un signifié linguistique connu des membres de la même communauté parlant la même langue, il n'en est pas moins vrai que tout signi­fiant comporte un certain nombre de données de nature non linguistique qui ne coïncident pas d'un sujet parlant à un autre. Nous n'apprenons pas les mots dans des situations identiques ; cela explique que chacun de ces mots porte une charge affective qui varie d'individu à individu. C'est pourquoi tel poème me bouleverse qui n'atteint mon voisin que médiocrement.

C'est pourquoi la stylistique est chose si difficile : les connotations sont essentielles pour comprendre ce qu'est le style de tel écrivain et pour comprendre pourquoi cet écrivain me touche ; mais le domaine qu'elles nous révèlent est difficile: une analyse scientifique, systématique donc, est encore à inventer. On peut cependant tirer tout le parti possible de ce que la linguistique nous offre et, donc, réduire le champ de nos incertitudes par l'utilisation métho­dique des moyens d'investigation qu'elle nous propose : données de la linguisti­que historique et données de la linguistique descriptive dans tous les domaines : phonique, morphologique, syntaxique, lexical.

Du Moyen Age au XIXe siècle, la stylistique est tout entière contenue dans la rhétorique, héritée de l'Antiquité. La rhétorique, « à la fois science de l'expres­sion et science de la littérature », se préoccupait de l'analyse du discours : de son argument (inventio), de sa composition (dispo­sition, du choix de ses termes (elocutio — étude des figures ou tropes).

Art de composer un discours et art de persuader par conséquent, la rhétorique a sans cesse montré un double visage : normatif et descriptif (puisque son analyse lui fournissait les moyens de son enseignement). En refusant la visée normative de cette discipline (refus légitime, car un art d'écrire n'avait plus sa raison d'être), le romantisme a contribué à sa ruine. Depuis, la rhétorique est tenue en bien médiocre estime. C'est trop vite oublier (une fois dénoncés son aspect contraignant et sa «rage de nommer», comme l'écrit G.Genette) que ses classifications correspondaient à quelque chose et que sa description est encore aujourd'hui la seule dont nous disposions sur certains aspects du langage (elle nous offre avec une rigueur vraie « une étude systématique des ressources du lan­gage»).

Cependant, reconnaître que « l'on a jeté parfois le bébé avec l'eau du bain » ne signifie pas que la stylisti­que contemporaine doive revenir à l'ancienne rhétorique ; et reconnaître la valeur de ses classements ne signifie pas davantage que l'on doive accorder une confiance aveugle en leur efficacité, ne serait-ce au moins que parce que « l'effet d'une figure varie avec le contexte ».

De fait, malgré le regain d'intérêt que connaît actuellement la rhétorique, la stylistique garde ses distances avec cette discipline dont elle a, plus ou moins, retenu les leçons. On est d'abord passé, sous l'influence de la linguistique historique, par un grand vide : le style que les épithètes ne qualifient plus avec précision (style tragique, par exemple, n'exprime plus qu'une impression et non une description objective comme c'était le cas à l'époque classique), n'est plus l'objet d'une étude scientifique. Puis, avec Ch.Bally, dont les recherches procèdent cependant de l'ancienne rhétorique, on n'a que mépris pour les « termes techniques et rébarbatifs» qu'elle proposait. Ce mépris, pourtant, est réconfortant : il annonce qu'au vide succède l'étude et que le style, redevenant objet d'analyse, reprend place parmi les préoccupations des linguistes ; c'est que l'école saussurienne a retrouvé le problème du style, du fait même qu'elle pose l'opposition langue/parole. Mais, méfiante envers l'acte original que constitue le style individuel, elle s'intéressera au premier chef à l'étude des styles collectifs. Ce sera ce que l'on appelle la stylistique de l'expression. Au contraire, sous l'influence de l'école idéaliste (Schuchardt), on s'était mis à penser que le style individuel était intéressant puisqu'ilétait véritablement l'homme et qu'il contenait, outre un art qui puisait ses moyens dans une langue commune à tous, toute l'originalité et la personnalité de l'écrivain. Aussi l'étude du style sera-t-elle, non le classement des faits de langue considérés en eux-mêmes, mais la recherche de l'esprit qui préside à la mise en œuvre des matériaux qu'ils constituent, qui préside en définitive à la création littéraire.

La stylistique descriptive ne se préoccupe que du fait linguistique pris en lui-même. C'est Ch.Bally (élève et successeur de F.de Saussure) qui a fondé véritablement la stylistique descriptive en tant qu'étude systématique: « La stylistique étudie les faits d'expression du langage du point de vue de leur contenu affectif, c'est-à-dire l'expression des faits de la sensibilité par le langage et l'action des faits de langage sur la sensibilité ». Mais Ch.Bally étudie surtout la valeur expressive des structures linguistiques plutôt que leur rôle ponctuel dans telle situation précise. C'est dire que sa démar­che est une stylistique de la langue, non une stylistique de la parole ; et que Ch.Bally ne se préoccupe point de l'usage particulier qu'un écrivain, par exemple, ferait de ces structures dans un cas donné. Ce serait là affaire de « style » (= de critique littéraire), non de stylistique.

Les valeurs stylistiques. Soit un énoncé : [bosup m0sj0 kupbs]. Cet énoncé, en plus d'une valeur notionnelle (les sons articulés indépendamment de toute intonation particulière informent mon interlocuteur de mon salut), a une valeur expressive et une valeur impressive. Celle-ci est faite d'une intention qui cherche à produire une impression sur l’interlocuteur (respect, ironie, indifférence feinte etc.); celle-là trahit les origines sociales, les tendances psychologiques du locuteur. Ces deux valeurs intéressent Ch.Bally comme des valeurs stylistiques.

Ch.Bally définit ce qu’il appelle les effets naturels et les effets par évocation. L’ellipse, par exemple, qui est apte, par le raccourci qu’elle propose, à exprimer l’émotion, est un effet naturel; l’emploi d’une syntaxe argotique qui reflète l’appartenance à une classe sociale ou à une mentalité particulière est un effet par évocation. C’est dire que la stylistique de Ch. Bally s’intéressera aux tons (familier, soutenu, etc.), aux styles (familier, épique etc.), aux diverses langues (parlers d’époque, langues des groupes sociaux, influences régionales et dialectales, etc.) et dans chaque catégorie citée, elle étudiera les composantes linguistiques que sont la phonétique, la morphologie, la sémantique et la syntaxe.


12. Analyse linguistique du récit

S'exerçant sur un discours, la stylistique ne peut guère se passer, comme nous avons vu, des enseignements que peut lui fournir la lin­guistique : connaissance historique de la langue, description de la substance phonique qu'est un texte, description de la morpho-syntaxe de la langue dans laquelle le texte est écrit, connaissance du lexique, etc. Faute de tenir compte des observations positives faites par le linguiste, la stylistique se dirigerait vers l'impres­sionnisme de la critique littéraire pratiquée par ce que l'on appelle l'honnête homme. Aussi a-t-on essayé d'introduire la méthode et les concepts de la linguisti­que dans l'étude du récit, c'est-à-dire au-delà de la phrase. Généralement, la linguistique, en effet, s'arrête à la phrase qui est « le plus petit segment qui soit parfaitement et intégralement représentatif du discours » (A.Martinet) : « Ayant décrit la fleur, le botaniste ne peut s'occuper de décrire le bouquet ». Mais, comme la phrase, le discours (ensemble de phrases) est un ordre, organisé, avec ses règles, ses unités, sa grammaire : «Au-delà de la phrase et quoique composé uniquement de phrases, le discours doit être naturellement l'objet d'une seconde linguistique ». Etudié à partir de la linguistique, le discours sera traité comme une grande phrase (dont les unités ne seront pas nécessairement des phrases, au sens gram­matical du terme). Comme tel, il participe d'un système qui a sa grammaire, ses unités fonctionnelles (aux fonctions élémentaires de l'analyse grammaticale cor­respondent les personnages d'un récit) et il pourra être analysé à trois niveaux — concept fourni par la linguistique — de description (les fonctions, les actions, la narration).

Pour ne donner qu'un exemple, on rappellera que le premier niveau est fait de fonctions qui sont de nature distributionnelle et d'indices qui sont de nature intégrative (et qu'il faut donc « dénouer ») ; à ce niveau, on pourra déjà donc effectuer un premier classement des récits : fonctionnels (les contes populaires), indiciels (les romans psychologiques). On peut même ne se préoccuper que de procéder à une analyse formelle du récit qui aura le mérite d'inviter à s'interroger « sur ce qu'il convient d'appeler la structure profonde du texte». Il faut, en effet, supposer que le texte est une structure si l'on souhaite le décrire scientifiquement.

On ne peut, en effet, éviter la linguistique : le texte littéraire est langage et communication, il est un objet linguistique. A partir de ce postulat, on peut poser, à la suite de M. Arrivé, que le texte littéraire est clos (= « limité dans le temps et/ou l'espace » ; ou = « structuralement fini », I. Kristeva), qu'il n'a pas de réfèrent et qu'il est soumis aux structures linguistiques (il « s'insère dans les structures » d'une langue et il « constitue par lui-même un langage »).

C'est dire qu'il faudra tirer les conséquences méthodologiques de ces postulats, à savoir : l'adoption des méthodes linguistiques pour la description stylistique, le refus de tout recours à un réfèrent et aussi le refus de prendreenconsidération toute information qui serait extérieure au texte à étudier.

Tout n'est cependant pas linguistique dans l'objet stylistique que consti­tue un texte littéraire. Que la linguistique fournisse au stylisticien des instruments de travail, c'est une chose. Il n'empêche : le stylisticien « reste souvent conscient que, s'il se prive de l'apport de l'histoire littéraire et refuse de considérer le contexte réel pour ne chercher les indices que dans les formes, que ce soient les formes de l'expression ou celles du contenu, une part du phénomène littéraire, l'aspect concret de celui-ci, lui échappe». C'est dire qu'il n'y a pas que les linguistes qui revendiquent le droit de parler du style et que, parmi les linguistes qui en parlent, certains revendiquent le droit d'en parler à l'aide d'outils qui n'appartiendraient pas tous à la linguistique. «La stylistique apparaît au carrefour de bien des routes. La grammaire, la linguistique, la linguistique comparée, la statistique, l'histoire littéraire, la caractérologie, la rhétorique (au sens d'étude des procédés et libérée de ses aspects normatifs), la dialectologie, la critique.. projettent sur le phénomène du style l'éclairage de leurs méthodes».